Marion Cito est née en 1938 à Berlin où elle commence sa formation de danseuse à l’âge de dix ans auprès de Tatjana Gsovsky qui l’engagera six ans plus tard dans son ensemble à l’Opéra allemand. Gsovsky est considérée comme une innovatrice expérimentale du ballet d’après-guerre en Allemagne. Elle a acquis de solides bases en classique dans sa Russie natale, mais elle a également étudié au studio d’Isadora Duncan à Petrograd ainsi qu’à Hellerau près de Dresde, berceau de la danse expressionniste allemande. Résolument ouverte aux influences contemporaines, elle développe son style chorégraphique sur une base classique. Lors de son séjour chez Gsovsky, Marion Cito devient première soliste et danse également dans des spectacles de George Balanchine, Kenneth McMillan, Serge Lifar, John Cranko et Antony Tudor. Évoluer en tant qu’actrice de genre fait sa force. De plus, la nouveauté l’intéresse. C’est ainsi qu’elle est interprète dans les premières pièces de son collègue Gerhard Bohner qui perce en 1971 avec Die Folterungen der Beatrice Cenci. La révolte étudiante a changé le climat social depuis 1968 et l’atmosphère est au renouveau, également en danse. Une jeune génération de danseurs se bat pour une plus grande autonomie. Lorsque Bohner prend la tête du ballet de Darmstadt en 1972, Marion Cito l’accompagne. Le projet semble prometteur, mais les exigences de Bohner, aussi bien en ce qui concerne l’indépendance artistique que sur le plan budgétaire, vont trop loin pour la direction du théâtre. Après seulement trois ans, le projet de réforme de Darmstadt prend fin. Marion Cito retourne à Berlin pendant un an et sera ensuite amenée à s’installer à Wuppertal. En effet, elle ne souhaite plus danser en raison de problèmes de santé, mais elle connaît le travail sensationnel de Pina Bausch depuis ses débuts et l’admire. Wuppertal, comme Brême, est l’une des rares îles où un nouveau langage chorégraphique émerge. La chorégraphe et la danseuse se comprennent immédiatement. Pina Bausch l’engage d’abord comme assistante. Mais la forte fluctuation des débuts au sein de la compagnie l’amène à demander à Marion Cito de revenir sur scène en 1977 pour Barbe-Bleue. Cito se produit alors aussi dans Komm, tanz mit mir, Renate quitte le pays et Arien.
De la danseuse à la costumière
En parallèle, Marion Cito s’est toujours intéressée aux costumes. Elle accompagne le scénographe et costumier de Pina Bausch, Rolf Borzik, dans ses achats pour la compagnie et découvre que leurs goûts suivent la même direction. Elle n’envisage cependant pas d’en faire son métier. Elle est d’autant plus surprise quand Pina Bausch fait appel à elle pour reprendre le travail des costumes après la mort prématurée de Borzik en janvier 1980. Elle n’arrive pas à se projeter, mais elle veut essayer. C’est un saut dans le vide car la directrice du Tanztheater Wuppertal a développé une manière de travailler dans laquelle la création des costumes ne se réalise qu’en parallèle de la pièce qui se développe progressivement. Ce n’est que relativement tard que les costumes sont dévoilés que l’on peut dire définitivement lesquels seront nécessaires. Cela exige de la costumière qu’elle planifie correctement et qu’elle confectionne les équipements dans des délais très serrés. Marion Cito apprend, comme elle le dit, à produire des costumes « en naviguant à vue ».
La première production dont elle est responsable en tant que costumière arrive à peine quatre mois après le décès de Borzik : 1980 – Une pièce de Pina Bausch. Pour ce faire, Marion Cito travaille en étroite collaboration avec Pina Bausch. Avec le temps, elle constitue un fonds dans lequel les danseurs peuvent puiser pendant les répétitions et a aussi des « coffres-forts » de vêtements particulièrement précieux. Mais grâce au travail préexistant de Borzik, il existe déjà des lignes qui définissent la recherche des costumes. Le Tanztheater ne veut pas présenter ses interprètes comme des danseurs (en juste corps et en chaussons de ballet par exemple) mais comme des personnes ordinaires. Ils portent des robes et des costumes simples, des talons aiguilles ou des chaussures de ville, mais aussi des robes de soirée éblouissantes. Néanmoins, la beauté n’est jamais une fin en soi mais l’expression d’un désir. Les costumes montrent comment les hommes et les femmes se rencontrent dans leur enveloppe sociale en se cachant ou en se dévoilant. L’habit fait le moine ; il fait partie des jeux de rôles entre les sexes et renvoie à un environnement social. Souvent, ils se révèlent être des enveloppes contraignantes dont on veut se libérer, comme lorsque, dans les premières pièces, les femmes apparaissent comme les décalques des fantasmes masculins. Parfois, une envie infantile de se déguiser crée des personnages décalés et surprenants : un homme baraqué en minijupe de lurex tire des flèches tel un ange Cupidon ; un homme qui joue le rôle d’une vieille grincheuse ou d’une ballerine romantique en long tutu. Des hommes habillés en femmes apparaissent régulièrement dans les pièces. Cela ne spécule pas sur un effet de travestissement superficiel mais interroge les clichés courants sur les rôles assignés au genre.
Une création individualisée mais d’un seul tenant
En suivant la méthode de travail du Tanztheater, elle s’intéresse beaucoup à la personnalité de ces danseurs. Cito élabore les costumes de manière totalement individuelle. Lors des longues tournées de la compagnie, elle achète des tissus partout dans le monde et réfléchit ensuite au motif et à la couleur qui conviendraient le mieux à tel ou tel danseur. Danseuse elle-même, elle sait quels vêtements sont appropriés pour danser. Elle sait que les bras, par exemple, doivent être libres et que les robes chez Bausch doivent généralement être longues. Le défi de toujours réussir à trouver dans les coupes un raffinement nouveau l’attire. Quand, plus tard, les coproductions avec les pays les plus divers se multiplient, une exigence vient s’ajouter : ne pas faire allusion à la sensualité spécifique d’une autre culture de façon trop simplificatrice, mais plutôt la suggérer. L’Espagne ne peut pas être citée avec des tissus à pois de robe de flamenco ; mais les tissus semi-transparents apportent une touche d’Orient. La suggestion et la simple proposition correspondent à un moment important dans le Tanztheater poétique de Pina Bausch. Des définitions univoques ruineraient le jeu subtil entre rêve et réalité. Il s’agit toujours de la réalité, avec ses peurs et ses désirs, mais elle doit toujours pouvoir être dépassée pour laisser place à un royaume imaginaire où tout est encore possible. Les costumes doivent eux aussi participer à ce fin exercice d’équilibre. Pour tout cela, Marion Cito doit s’en remettre à son intuition. Avant de commencer les répétitions, elle doit pouvoir deviner dans quelles directions une pièce est susceptible d’aller et elle doit planifier en conséquence. Puisque les pièces ne sont assemblées que relativement tard, les problèmes pragmatiques ne se posent que vers la fin : le manque de temps pour les changements, les combinaisons de couleurs dues à de nouvelles constellations dans l’action scénique. Une grande flexibilité et une capacité de réaction rapide sont alors nécessaires. L’entretien du répertoire est également un travail intensif et nécessaire en cas de changements de distribution ou – ce qui n’est pas rare – de grossesses des danseuses. Son travail ressemble à un jeu aux nombreuses variables et aux maintes inconnues. Et pourtant, au fil des années, elle développe une aisance souveraine qui résulte d’un amour profond pour les pièces et la vision du monde qu’elles portent.
Marion Cito fait partie du Tanztheater Wuppertal depuis 1976 : d’abord comme assistante et danseuse puis comme costumière à partir de 1980. Même si, comme elle le dit, elle n’a jamais imaginé faire ce travail, elle a largement contribué à ce que le Tanztheater, sans omettre tout son réalisme, apparaisse toujours riche en couleurs et en sensations.
Elle est décédée le 2.12.2023 à Wuppertal à l'âge de 85 ans. Avec elle, c'est une autre partie d'une époque importante et marquante qui s'en va.
Norbert Servos