Le 27 octobre 2022, notre collaborateur de longue date Matthias Burkert est décédé à Wuppertal. Son travail et sa présence en tant qu’homme ont marqué le Tanztheater Wuppertal et les pièces de Pina Bausch pendant plus de quatre décennies. Avec sa disparition, nous avons perdu un compagnon de route apprécié qui, par son travail musical, son approche ludique et parfois expérimentale de la musique et de l’improvisation, par sa subtile perception des processus artistiques, a considérablement contribué au travail de la compagnie.
Nous regrettons Matthias Burkert. Avec toute notre reconnaissance. La troupe du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch.
Matthias Burkert est né en 1953 à Duisbourg et passe son baccalauréat en 1972 à Wuppertal. Dès l’âge de six ans, il prend des cours de piano. Après 2 ans d'études à l'académie des Beaux-Arts de Düsseldorf, il décide de se consacrer exclusivement à sa véritable passion : la musique. Il commence en 1974 des études de piano à l’antenne de Wuppertal de l’école de musique supérieure de Cologne, avec comme matière secondaire la trompette et le chant. C’est surtout l’approche globale de la didactique du piano du professeur Harald Bojé qui lui plait. Il étudie auprès de lui principalement la musique contemporaine. Matthias Burkert a une relation naturelle et décomplexée aux instruments. Dès son plus jeune âge, l’improvisation est sa grande passion, et pas seulement au piano. Son approche de la musique est ludique et ouverte à l’expérimentation.
En 1975, il voit pour la première fois une pièce de Pina Bausch à Wuppertal. Il s’agit de sa version d'Igor Stravinsky, « Le Sacre du printemps ». Burkert n’a alors aucun lien avec le ballet, mais l’Humanité immédiate du langage de la danse contemporaine de Pina Bausch l’impressionne profondément. À l’issue de ses études, il accepte en 1978 une charge de cours en didactique du piano dans son école. Dès 1976, il devient directeur musical du théâtre pour enfants et adolescents de Wuppertal, une position qu’il conservera jusqu’en 2001 malgré des exigences croissantes. Il donne par ailleurs des cours privés de piano. En 1979, Pina Bausch cherche un pianiste parce que le répétiteur en charge des trainings quotidiens part à la retraite. Burkert est engagé et commence par regarder par-dessus l’épaule du répétiteur plus âgé. L’accompagnement des trainings est nouveau pour lui. Mais son domaine d’activité évolue rapidement. Pina Bausch, qui est en train de redéfinir les fondements de la danse, non seulement au niveau du contenu et de la chorégraphie mais aussi dans le choix de la musique, a besoin de soutien. Ce travail ne concerne pas seulement la recherche, mais questionne également la dramaturgie musicale, le développement de la tension dramaturgique ainsi que le déroulement précis de la danse sur scène. Ce qui demande à cette époque un travail encore fastidieux du côté du son. Il ne s’agit pas simplement de passer des musiques enregistrées sur des bandes et des cassettes à chaque changement, il faut aussi trouver des musiques originales. Ce qui n’est pas aisé. Burkert écume les magasins de disques de Wuppertal et des environs, contacte des archives radiophoniques et des collectionneurs privés. Il arrive qu’on utilise jusqu’à quatre magnétophones en parallèle pendant une représentation afin de permettre des changements rapides.
« Bandonéon », en 1980, est la première collaboration de Burkert avec la chorégraphe. Laquelle a rapporté d’une tournée en Amérique du Sud une multitude de matériaux sonores qui doivent être traités. Au besoin, Burkert crée ses propres compositions. Les longs voyages de la compagnie et les coproductions qui en découlent modifient peu à peu le travail musical. À chaque nouvelle résidence de recherche s’ouvrent de nouveaux horizons musicaux. Mais finalement, il s’agit plutôt de réussir à faire résonner l’âme musicale d’un pays sans tomber dans le folklore.
Les danses et les scènes naissent et se développent presque toujours indépendamment de la musique, ce qui prouve leur autonomie. L’ajout de la musique résulte d’une réflexion en amont, mais surtout d’un processus alliant essais et erreurs, ce qui dans le domaine de la danse-théâtre devient non seulement un principe déterminant, mais aussi le contenu même des pièces. Souvent, Pina lui demandait de remettre en question tout ce qui semblait avoir fait ses preuves sur le plan musical lors des répétitions et de remplacer de façon radicale des blocs de musique entiers par de nouvelles idées. Tout en était soudain revivifié. Pour le choix final, il est notamment décisif, comme le dit Pina Bausch, de pouvoir encore apprécier la musique dans 20 ans, de trouver qu’elle sonne toujours aussi bien et qu’au contraire, elle a gardé toute sa fraîcheur.
Matthias Burkert accompagne le processus de répétition dès le début, rassemble des musiques, les classe selon leur caractère et leur atmosphère ou pense à un danseur dont la nature lui est devenue de plus en plus familière au fil des années. Pina Bausch l’intègre régulièrement dans ses pièces à l’occasion de performances musicales. À chacune des représentations, il s’assoit à côté de Pina, et relié par un microphone à son collègue à la table de mixage, il régule la température musicale du spectacle.
En 1995, Andreas Eisenschneider rejoint l’équipe. Ainsi, ils se complètent tous les deux et forment une équipe bien rodée, en charge de la musique du Tanztheater. Ensemble, ils ont assuré la direction musicale du film Pina de Wim Wenders.
NORBERT SERVOS